31 Octobre 2024

Syndrome de l’Imposteur chez les Femmes : Comprendre un Phénomène Systémique et non Individuel

Les femmes sont de plus en plus nombreuses à occuper des postes de responsabilité, et pourtant, nombreuses sont celles qui doutent de leur légitimité. Ce phénomène, souvent nommé "syndrome de l'imposteur", affecte disproportionnellement les femmes, les empêchant parfois de s'affirmer, d'assumer leur succès ou même de s'autoriser à prendre leur place. Cependant, ce n'est pas un phénomène isolé ni un manque de confiance individuel ; c'est un symptôme profondément ancré dans notre société et ses structures historiques. Comprendre ses causes systémiques est essentiel pour le combattre.

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Un Constat d’Inégalité : Des Chiffres Parlant d’Eux-Mêmes

Le rapport IFOP pour PageGroup de 2021 offre un aperçu des inégalités au sein des instances dirigeantes :

  • En France : seulement 25 % de femmes dans les directions d’entreprise, malgré la loi Copé-Zimmermann de 2011 qui impose 40 % de femmes dans les conseils d’administration​.
  • À l’échelle internationale : l'Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis rapportent respectivement des taux de féminisation des comités de direction de 1 %, 8 %, et 8 %​. En 2024, seulement 52 des 500 entreprises composant le Fortune 500 américain (les 500 plus grandes entreprises américaines) sont dirigées par des femmes.
Au niveau politique, le rapport des Nations Unies est sans appel : au 1er octobre 2024, sur 200 chefs d’État dans le monde, seulement 30 sont des femmes. A la vitesse actuelle de féminisation des instances dirigeantes, il faudrait 130 ans pour atteindre la parité exacte.

En Europe, les femmes représentent 37% des personnalités politiques locales et régionales.

Ces chiffres montrent une sous-représentation flagrante des femmes dans les hautes instances de pouvoir. Cette disparité, loin d’être anodine, influence la perception des femmes quant à leur place et leur légitimité dans ces rôles décisionnels.

L'héritage historique : un fardeau collectif de longue date

Jusqu'à récemment, les femmes étaient exclues des trois principaux systèmes de pouvoir: politique, économique et religieux. En France, ce n’est qu’en 1965 qu’elles ont pu ouvrir un compte bancaire ou postuler à un emploi sans l'autorisation d'un mari. C’est seulement en 1972 que la loi sur l'égalité salariale est votée en France. Et seulement en 1973 que les femmes peuvent accéder aux concours des Grandes Écoles de Commerce… Cet accès tardif aux ressources et aux prises de décisions importantes a contribué à ce que les femmes intériorisent leur place en marge de la sphère publique, non comme actrices légitimes mais comme soutien secondaire.

Quelques autres dates marquantes montrent la lenteur du changement :

  • 1919 : Les femmes en France obtiennent l'accès à certains emplois publics.
  • 1944 : Le droit de vote est enfin accordé aux femmes en France.
  • 1972 : La loi sur l’égalité salariale est votée en France, bien que son application reste incomplète.
Le résultat de cette histoire longue et oppressante ? Des mécanismes internes qui sapent la confiance en soi, limitent le sentiment de légitimité et freinent les ambitions des femmes dans les domaines publics et décisionnels. Ces effets peuvent se manifester de manière très concrète :

  • Difficulté à exprimer ses opinions en public sans crainte ;
  • Peur de demander de l’aide, même si nécessaire ;
  • Sentiment d’isolement face aux responsabilités.
En prenant conscience de cet héritage, il devient évident que ce sentiment de "ne pas être à sa place" n'est pas un problème personnel mais le résultat de siècles d’exclusion.

Les femmes actives d’aujourd’hui ne sont que la première ou deuxième génération à avoir officiellement les mêmes droits que les hommes.

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Honte et Isolement, Obstacles au Leadership Féminin

Les blocages intérieurs qui empêchent de nombreuses femmes de s'affirmer au travail trouvent leur origine dans deux principaux sentiments : la honte et l’isolement. Le rapport souligne que 66 % des femmes cadres en France ressentent une forme d’illégitimité face aux responsabilités, un taux qui atteint même 75 % chez les femmes managers de moins de 35 ans​.

Ces mécanismes sont souvent renforcés par des expériences d’échec qui déclenchent de la honte, un phénomène particulièrement analysé par Sheryl Sandberg dans En avant toutes, où elle explique que les femmes, 80 fois plus que les hommes, intériorisent leurs échecs comme des preuves de leur incompétence plutôt que des erreurs d’apprentissage.

Dans l'article de la Harvard Business Review, "Stop Telling Women They Have Imposter Syndrome", les auteurs rappellent que le syndrome de l’imposteur n’est pas une faiblesse personnelle, mais le produit d’une société qui associe encore souvent le leadership à des traits dits "masculins".

L’article souligne également que ce sentiment d’imposture ne se manifeste pas de la même façon chez les hommes et les femmes parce que le monde professionnel a été construit avec des normes qui favorisent les comportements masculins. Les femmes, encore perçues comme "atypiques" dans les rôles de leadership, doivent redoubler d’efforts pour prouver leur légitimité et finissent par douter d’elles-mêmes face aux stéréotypes persistants.

Repenser le Syndrome de l’Imposteur : Un Phénomène Systémique et Non Personnel

Le syndrome de l’imposteur est souvent interprété comme un défaut individuel, mais il est en réalité le résultat de siècles d’inégalités structurelles. Marine Bruneau, dans Les légitimes, souligne que si la découverte du "syndrome de l'imposture" par Rose Clance et Suzanne Imes en 1978 (en etudiant le phénomène auprès de 150 jeunes femmes, brillantes étudiantes) est une avancée importante dans la compréhension des comportements qui conduisent à ce syndrôme, il créé le biais que c'est aux femmes d'agir sur ce syndrôme, qu'elles ont en elles ce qu'il faut pour le vaincre, alors que la société dans son entiereté a créé ce problème (oui, problème plutôt que syndrôme finalement).Les femmes ne sont pas seules dans cette expérience ; il s’agit d’un phénomène collectif. Elle cite aussi Elisabeth Moreno qui, en 2021 (alors Ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances) a déclaré lors d'une visite d'entreprise "Nous sommes encore dans une société patriarcale. (...)les statistiques montrent que 60% des femmes manquent de confiance en elles. Et cela vient du fait que la contribution des femmes est minimisées dns toutes les sphères de la société."

Et pourtant, nous avons tous à gagner à ce que ce syndrome de l'impostrice, pour reprendre les mots de Marine Bruneau, soit l'affaire de tous, et pas seulement des femmes. Par exemple, L'article de la Harvard Business Review incite les employeurs à revoir leurs pratiques organisationnelles et les biais qui découragent les femmes en leadership, en cultivant un environnement plus inclusif.

Les entreprises et la société doivent donc reconnaître que la solution n’est pas de simplement encourager les femmes à "gagner en confiance", mais de transformer les structures mêmes qui perpétuent ce syndrome. Il est crucial de créer des modèles féminins visibles et d’ériger un nouveau leadership, qui ne repose plus uniquement sur des valeurs et des attentes masculines.

Conclusion : Un Sujet Bien Plus Vaste

Le syndrome de l’imposteur chez les femmes n’est que la surface d'un problème plus large lié aux attentes culturelles et aux dynamiques de pouvoir. Pour approfondir ce sujet, la lecture de Les légitimes de Marine Bruneau, ainsi que de l’article de la Harvard Business Review "Stop Telling Women They Have Imposter Syndrome" s’avère passionnante. Enfin, pour aller plus loin, vous pouvez regarder l’allocution de Reshma Saujani devant la promo 2023 de l’Université américaine Smith College ou écouter l’épisode "Arrêtons de parler de syndrome de l’imposteur" du podcast La Leçon de Pauline Grisoni, où des invitées partagent leurs expériences pour déconstruire ces croyances et gagner en confiance.

J’aurais pu aborder cet article sous tellement d’angles (égalité salariale, impact de la vie de famille, efficacité prouvée des entreprises ayant plus de femmes au sein des équipes dirigeantes,...) et sortir toutes les statistiques qui prouvent qu'il est urgent d'avoir un monde de l'entreprise plus inclusif. Il y aura donc d’autres articles sur le sujet.

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